Limites et occupation de l’espace dans les colonies grecques du Sud de l’Italie (Limits and rural-space occupation in southern Italy Greek colonies)  di Airton Pollini

  • 17Métaponte fut fondée par des colons achéens entre les embouchures du Bradano et du Basento. Si l’on en croit un passage d’Antiochos31, la fondation de cette nouvelle colonie, datée de 630 av. J.-C.32, se comprend dans le contexte d’une démarcation de frontière. La haine (misos) que les Achéens éprouvaient à l’encontre des Tarentins expliquerait la volonté des premiers de contrer l’expansion territoriale des seconds. Bien qu’il soit nécessaire de faire preuve d’un maximum de prudence dans l’analyse de ce passage, qui paraît refléter une construction idéologique postérieure aux événements, il montre de façon évidente que, même dans un contexte colonial, les anciens Grecs se préoccupaient de définir une limite entre deux cités. 31 Notre principale source est Antiochos apud Strabon, VI, 1, 15 : Suivant Antiochos, le site abandonn (...) 32 Greco, 1992a, p. 44 ; de Juliis, 2001, p. 43.
  • 18Ce sont les sanctuaires extra-urbains et leur localisation qui permettent d’appréhender les modalités d’occupation du territoire de Métaponte. Deux phases bien distinctes de définition des limites de l’occupation grecque de ce territoire peuvent être décrites. À la fin du viie siècle, au moment de la fondation de la colonie, deux limites sont établies et signalées par deux sanctuaires : la rivière du Bradano, avec l’Héraion des Tables Palatines, et celle du Basento, avec l’Artémision de San Biagio. Ensuite, vers le milieu du vie siècle, après la destruction de Siris, Métaponte étend sa domination dans trois directions différentes, dans un mouvement expansionniste très fort : vers le sud, par la traversée du Basento et l’occupation des terres situées san biagio alla venella 1entre ce fleuve et le Cavone et qui appartenaient précédemment à Siris ; vers l’ouest, où les traces de divisions régulières de la campagne et les sites de Cugno del Pero et de Lago del Lupo attestent une mainmise plus élargie de la plaine comprise entre le Basento et le Bradano ; enfin, vers le nord, où l’implantation d’une fortification à Cozzo Presepe semble montrer indubitablement une occupation plus avancée vers l’arrière-pays. La seule limite qui reste inchangée est celle qui était située entre Métaponte et Tarente, matérialisée par la rivière du Bradano et renforcée par la monumentalisation de l’Héraion des Tables Palatines. En revanche, les données archéologiques semblent indiquer que l’action de la cité fut plus complexe à proximité de la rive gauche du Bradano – en particulier d’après les données en provenance du territoire de l’actuelle Ginosa : elles présentent des caractéristiques très proches de celles qui proviennent des sites contemporains situés dans le territoire même de Métaponte33. Les techniques de construction de l’habitat comme le mobilier des tombes témoignent d’une influence plus forte de Métaponte que de Tarente. Il faut donc rester prudent dans l’attribution au Bradano et à l’Héraion du rôle de « marqueurs de frontière ». L’appartenance à une cité grecque plutôt qu’à une autre nous semble d’ailleurs très difficile à déterminer à partir du mobilier de quelques tombes. Il est évident que les influences culturelles et commerciales ne s’arrêtaient pas nécessairement aux frontières, indiquées ou non par des rivières et/ou des sanctuaires. La frontière se caractérisait d’ailleurs justement par sa porosité ; elle mettait en contact des groupes distincts en promouvant les échanges culturels et commerciaux. Les vestiges provenant de ces sites touchés par des influences différentes nous obligent en tout cas à mener des analyses fines et à faire preuve d’une prudence redoublée. Quel que soit le contexte historique, la mixité est probablement l’aspect le plus distinctif des sites que l’on peut qualifier de « frontaliers ».33 De Siena, 2000, p. 759.
  • 19L’Artémision de San Biagio34 se situe à environ six kilomètres du centre urbain de Métaponte, sur la rive gauche du Basento, dans la zone marginale de la plaine où commencent les reliefs collinaires. Plusieurs fonctions sont possibles dans le cas de ce sanctuaire. L’hypothèse la plus prudente est certainement d’y voir un simple sanctuaire champêtre, où était célébré un culte à la fertilité lié à la source. Mais le fait qu’il ait été établi dans une zone distante du centre urbain, aux bords d’une rivière importante, et à une époque contemporaine de l’arrivée des colons peut indiquer des fonctions plus étendues : il a pu servir à marquer la possession du territoire lors des débuts de la colonie. Au vie siècle, après l’expansion de Métaponte sur les terres de l’ancienne Siris, l’Artémision devint un sanctuaire des confins, qui du fait de sa position à l’endroit où l’on passait de la zone des plaines à celle des montagnes garda son importance symbolique, mais qui perdit l’importance politique qui était la sienne au moment de la fondation de la colonie. 34 Carter, 1994, p. 169.
  • 20Des rapports de toute autre nature sont envisageables à l’extrémité opposée du territoire, dans la vallée du Bradano, au nord du centre urbain de Métaponte. Dans cette région, Cozzo Presepe35 a été identifié comme une fortification construite par-dessus un ancien centre indigène, fréquenté durant tout le viie siècle. À la fin du viie, l’habitat indigène disparaît brusquement et le site est repris par les Métapontins ; au tout début du vie siècle, les colons édifient une fortification à la place du site indigène, en utilisant pour sa construction des pierres irrégulières. Elle est ensuite remplacée par un petit lieu de culte au ve siècle : un petit autel et un dépôt votif ont été trouvés à l’emplacement de l’ancienne fortification36. En direction du nord et tavole palatine (Copia)en suivant le cours du Bradano, ce site apparaît comme le plus lointain de ceux qui étaient sous la domination directe des Métapontins. Il est situé au sommet d’un plateau, sur une terrasse, d’où une grande partie de la vallée du Bradano était visible. C’est une position clé pour le contrôle et la défense de la plaine ; en outre, la rivière constituait une voie de communication privilégiée entre la côte et l’arrière-pays. Ce site de Cozzo Presepe, par ses caractéristiques militaires et sa localisation géographique, est typique d’un site frontalier. Mais la présence militaire a aussi garanti l’exploitation agricole régulière de la campagne située en deçà, comme l’attestent les fermes de Cugno del Pero et de Lago del Lupo. 35 Osanna, 1992, p. 82, n° 11. 36 Carter, 1994, p. 177.
  • 21Intéressons-nous brièvement à la structure du territoire situé à l’intérieur de cet espace relativement bien délimité, en commençant par d’autres petits lieux de culte qui ont été repérés dans la campagne métapontine. Au total et jusqu’à présent, quatorze sanctuaires appartiennent au territoire de Métaponte. J. Carter37 a remarqué une impressionnante régularité dans la distribution spatiale de ces lieux de culte. Les écarts entre les sites semblent suivre un schéma à deux échelles : ils sont de 3 ou 6 km. Entre le centre urbain et l’Héraion des Tables Palatines on compte 3 km ; entre ce dernier et le sanctuaire de Saldone, encore 3 km ; finalement, Cozzo Presepe se situe à 6 km de Saldone. La même régularité semble se vérifier le long du Basento : entre le centre urbain et Pantanello38, on a 3 km ; entre ce dernier et San Biagio, à nouveau 3 km ; Sant’Angelo Grieco est également distant de 3 km de San Biagio. Dans cette vallée, il faut ajouter également les sanctuaires de Sant’Angelo Vecchio et d’Avinella, respectivement à 2 et 1 km de San Biagio. Puisque ces lieux sont presque tous datés du milieu du vie siècle, il faut voir là une implantation pratiquement contemporaine. Par conséquent, J. Carter a suggéré qu’il s’agissait de petits lieux de culte fréquentés par les communautés rurales et dont la position était déterminée par la division régulière du territoire, elle aussi mise en place au vie siècle. 37 Ibid, p. 180.38 Sur le sanctuaire de Pantanello, voir une brève description dans : Carter, 1991, p. 245-249 ; sur l (...)
  • 22Dès le début des recherches sur le territoire de Métaponte, l’intérêt majeur s’est surtout tourné vers les traces de division régulière de l’espace rural. Ces traces ont d’abord été repérées grâce à l’interprétation des photographies aériennes39, ensuite complétée par des fouilles stratigraphiques et, plus récemment, par des prospections. Les recherches de J. Carter40De plus, les données des prospections ont établi une évolution relativement claire pour l’occupation du territoire de Métaponte, matérialisée par des fermes, et qui atteint son développement maximal dans la première moitié du ve siècle41. 39 Schmiedt, Chevallier, 1960, p. 1-31 ; Schmiedt, Chevallier, 1959, p. 2-5 ; Adamesteanu, 1967, p. 3- (...)40 Carter, 1994, p. 182 ; Carter, 2000, p. 775-776. 41 Selon les calculs de J. Carter qui se base sur l’emplacement des fermes et des lignes de division d (...)

23tripode 2Après une phase de déclin entre la fin du ve et le milieu du siècle suivant, les données venant de la zone rurale de Métaponte montrent une impressionnante reprise dans la seconde moitié du ive42 : on retrouve la même densité d’occupation qu’au milieu du ve siècle. Une grande quantité des constructions du ive siècle reprennent l’emplacement d’un habitat précédent, mais sont de dimensions beaucoup plus grandes, avec des superficies variant entre 200 et 400 m2.

  • 24Si l’on ne connaît pas les raisons exactes de cette fluctuation dans l’occupation et l’exploitation de la campagne métapontine, il faut tout de même remarquer que la chronologie des mouvements ascendants et descendants est similaire dans d’autres cités de Grande Grèce. Les deux colonies les mieux connues, Métaponte et Poseidonia, sont mises en parallèle à plusieurs titres, y compris pour l’évolution de l’occupation du territoire. 42 Pour un résumé de nos connaissances sur les fermes de Métaponte, voir : Carter, 1991, p. 242-243 ; (...)